L’Hôpital Schweitzer fête son centenaire
C’est le 16 avril 1913 que le Docteur Albert Schweitzer, accompagné de sa femme Hélène, arrive à la station missionnaire d’Andendé – à l’emplacement de l’actuel Lycée Fanguinovény – pour y fonder un hôpital de brousse.
Docteur en philosophie et en théologie, pasteur, professeur à la Faculté de théologie de Strasbourg, organiste et écrivain, Schweitzer a décidé en 1905 d’abandonner sa brillante carrière pour devenir missionnaire en Afrique.
Le refus de la Société des Missions évangéliques ne l’a pas découragé et il a alors entrepris, à l’âge de 30 ans, des études de médecine, sachant qu’un médecin était fort nécessaire dans cette région de l’Afrique équatoriale. Les Missions évangéliques l’ont alors accepté, sans grand enthousiasme il est vrai, mais Schweitzer a promis de financer lui-même son entreprise et de ne pas prêcher. On met donc à sa disposition un des bâtiments de la station et on lui permet de construire un hôpital entre la colline et le fleuve Ogooué. Sans local pour l’examen et le traitement des malades, Schweitzer travaille d’abord en plein air, puis transforme en « hôpital » une petite pièce sans fenêtre qu’un missionnaire utilisait comme poulailler. Aidé par deux missionnaires-artisans, il construit par la suite une baraque en tôle ondulée, une salle d’attente et un dortoir de 16 lits pour ses malades. Pour ne pas être privés des leurs, ceux-ci doivent se faire accompagner par des membres de la famille, les « gardiens », une « hospitalisation en famille » qui est toujours pratiquée de nos jours.
Les principales maladies que Schweitzer, aidé par sa femme et un infirmier africain, doit traiter sont la maladie du sommeil, les ulcères, la lèpre, le paludisme, la dysenterie et les hernies. Après quinze mois il a soigné presque 3000 personnes. Les malades viennent de loin en pirogue, les Blancs aussi, et l’Hôpital continue de s’agrandir.
En 1914 éclate la guerre en Europe. Citoyens allemands dans une colonie française, Schweitzer et sa femme sont assignés à résidence pendant quatre mois avant de pouvoir reprendre leur activité. Mais trois ans après, le couple Schweitzer doit quitter le Gabon. Internés dans les Pyrénées puis en Provence, ils rentrent en Alsace en 1918.
Schweitzer retrouve un poste de médecin à l’hôpital civil de Strasbourg et aussi celui de vicaire dans son ancienne paroisse de Saint-Nicolas. Mais ce qui change sa vie, c’est l’invitation de l’archevêque suédois Nathan Söderblom à venir donner des conférences à l’université d’Uppsala. Schweitzer reste six mois en Suède et y retourne un an après ; ses conférences lui rapportent beaucoup d’argent et, avec le succès de son livre « A l’orée de la forêt vierge », il peut rembourser les dettes contractées auprès de la Société des Missions de Paris et repartir à Lambaréné en 1924 – sans sa femme et leur fille Rhéna, née en 1919.
Il se réinstalle sur la station, répare les bâtiments endommagés et en construit de nouveaux. Les malades affluent et bientôt l’hôpital se trouve à l’étroit sur le site de la mission. En 1925 il décide alors de s’installer sur son propre terrain et acquiert une concession de 80 hectares à trois kilomètres en amont d’Andendé.
Pendant plus d’un an il se transforme en bâtisseur, laissant la médecine aux premiers collaborateurs arrivés d’Europe. Mobilisant chaque matin les hommes et les femmes valides de son hôpital, il délimite la concession, fait abattre les grands arbres, défricher et nettoyer le terrain. Ensuite, aidé par des charpentiers européens et africains, il se met à construire les bâtiments de son nouvel hôpital. Suivant les conseils d’Africains, il construit des bâtiments longs et étroits, orientés exactement de l’est à l’ouest.
Sous l’équateur, le soleil passe ainsi au-dessus des bâtiments sans que ses rayons frappent les façades longitudinales. Au-dessous du toit en tôle ondulée se trouve une seconde toiture en planches, et sous celle-ci le plafond, coupé en son milieu sur toute la longueur par une fente fermée par un treillis métallique. De cette façon, l’air chaud qui s’accumule sous les tôles et dans les chambres peut s’échapper.
Le nouvel hôpital, donc le troisième que Schweitzer a construit, est inauguré le 21 janvier 1927. Les malades accueillent les nouveaux bâtiments avec joie, et les patients continuent d’affluer.Schweitzer doit construire de nouvelles cases, agrandir d’autres, creuser des puits, aménager un jardin, défricher la forêt qui couvre la concession pour la transformer en plantations. Les travaux d’aménagement et de construction l’occuperont jusqu’à sa mort, en 1965.
Un des facteurs de l’accroissement de l’hôpital après la Seconde Guerre mondiale est la présence parmi les malades de plus de deux cents lépreux. En 1953 Schweitzer décide de construire pour eux à proximité de l’hôpital un village pour 250 personnes. Pendant les travaux il apprend que le Comité du prix Nobel lui a attribué le Prix Nobel de la Paix, rétroactivement pour l’année 1952.
Si ce prix agrandit la notoriété du « docteur de la brousse » et lui donne le crédit pour faire entendre sa voix sur la question des essais nucléaires, il permet, dans l’immédiat, de terminer la construction de la léproserie, appelée « Village de Lumière ».
Après la mort de Schweitzer, en 1965, ses successeurs continuent à aménager et à élargir l’hôpital, mais les problèmes financiers s’accumulent. C’est l’engagement de l’Etat Gabonais qui sauve l’entreprise.
En décembre 1975 le Conseil des Ministres décide de couvrir le déficit du budget de fonctionnement et de financer une partie d’un nouvel hôpital destiné à remplacer les vieux bâtiments qui ne sont plus aptes à une médecine moderne. C’est sur un terrain voisin, acheté par Rhéna Schweitzer après la mort de son père, que l’on construit entre 1976 et 1981 l’actuel Hôpital Schweitzer, doté d’une polyclinique et de services de médecine, chirurgie, maternité, pédiatrie, d’une clinique dentaire et, souhaité par le Président de la République, d’un laboratoire de recherches sur les maladies tropicales.
L’hôpital construit par Albert Schweitzer à partir de 1925 est maintenant un site de mémoire et un musée. Les bâtiments les plus emblématiques comme la Grande Pharmacie, la Case des opérés, les maisons du Docteur et des médecins et infirmières ont été récemment rénovés par la Fondation Internationale de l’Hôpital du Docteur Albert Schweitzer à Lambaréné (FISL), trois d’entre eux pouvant accueillir des visiteurs.
Succédant en 1974 à l’association que Schweitzer avait lui-même créée dès 1930, c’est cette Fondation qui gère aujourd’hui l’hôpital et est chargée de la lourde tâche de le préparer pour l’avenir tout en conservant l’esprit de son fondateur, son éthique du respect de la vie.