L’érosion côtière au Gabon
Problème de société autour d’un Phénomène naturel.
Le monde bouge et est en mutation continue au niveau temporel ; ces évolutions obéissent à des mécanismes et à des processus régis par la nature et commandés par des cycles que nous n’appréhendons pas toujours. Sommes-nous réellement conscients de ces transformations ?
Ces changements portent parfois le nom d’érosion. Lorsqu’ils s’appliquent sur la côte, on parle d’érosion côtière.
Qu’est-ce que l’érosion côtière et comment se manifeste-t-elle ?
CC’est un phénomène naturel qui contribue à modifier les formes de la côte selon un cycle calibré par la nature elle-même. Le terme érosion côtière couvre deux événements qualifiés par l’expression bilan sédimentaire :
– une phase d’enlèvement de matériaux avec une énergie des vagues plus ou moins importante et une nature de matériaux plus ou moins résistants (sables, argiles, roches compactes) : c’est l’érosion proprement dit ou régression ;
– une phase de dépôts sédimentaires (sables et galets) le long des plages : on parle alors d’accumulation ou sédimentation.
Souvent, on ne perçoit que le phénomène d’usure, c’est-à-dire celui qui favorise le départ des sédiments sur les plages, parce que la tendance générale est au recul des rivages ; mais sur les plages où le sable est plus ou moins présent, il s’agit d’une évolution naturelle qui associe le couple ÉROSION et DÉPÔT et qui porte le nom de morphogenèse.
La phase de dépôt est une période d’abondance, c’est-à-dire que les sources qui alimentent les plages (cours d’eau, fonds marins et remaniement sur place des sédiments de plage) ont suffisamment de matériaux pour les alimenter. La phase d’érosion est souvent liée à une crise sédimentaire consécutive soit à une diminution des volumes sédimentaires tributaires des sources d’alimentation, soit à la déviation de la trajectoire des courants qui accompagnent la migration des sédiments dans les zones d’alimentation.
Ainsi, sur une côte sans présence humaine, l’érosion se présente comme un processus en équilibre dynamique, car même si le recul
est certain, on assiste à la conjonction des phases de retrait et de dépôt des sédiments sur les plages.
Un processus dynamique qui s’accélère
De nombreuses études ont montré que l’érosion était généralisée dans les pays côtiers du monde entier.
Bernard Peyrot, un spécialiste des dynamiques naturelles des pays tropicaux, a montré que certains environnements portent les stigmates de déséquilibres consécutifs à une agression d’origine humaine et d’autres changements relèvent de dynamiques d’ordre exclusivement naturel (cf : Les risques naturels : de l’aléa aux enjeux, 2004). Cela se manifeste de façon plus ou moins importante, en fonction de l’action des courants.
Au Gabon, on observe cette érosion à Pongara (zone de la Baie des Tortues Luth), à Nyonié et sur la côte de Wonga Wongué ou à Panga (au Nord de Mayumba). On constate sur ces sites de spectaculaires transports par les courants marins de matériaux sédimentaires de là où ils étaient accrochés, vers le Nord. Ces transports sont favorisés par les effets de la houle. L’orientation de la houle au Gabon fait en sorte que tous les sédiments partent toujours du Sud vers le Nord.
Au Gabon, pourquoi l’érosion côtière devient un problème et pourquoi en parle-t-on autant aujourd’hui ?
Ce phénomène porte de plus en plus atteinte aux infrastructures et ouvrages situés en bordure de mer.
Des routes et des maisons sont détruites, certaines fortement menacées. Les populations ayant construit au bord du rivage sont inquiètes car elles observent, impuissantes, la rapidité avec laquelle les vagues et la mer se rapprochent de leurs constructions. Elles se sentent en danger : leurs investissements sont menacés.
En dehors des constructions humaines, il faut noter que la menace est aussi importante sur la faune et la flore du littoral.
En effet, lorsque certaines protections naturelles sont détruites par l’érosion, elles exposent la flore et la faune. Des palétuviers sont ravagés par la montée des eaux, de même que certaines zones de ponte des tortues marines. Le partenariat pour la conservation des tortues marines (un consortium d’ONGs et institutions scientifiques travaillant pour la protection des tortues marines) a montré le lien qui existe désormais entre la perte des habitats et le taux de réussite des pontes de tortues marines.
Et l’homme dans tout ça, a-t-il une part de responsabilité ?
Si l’on s’en tient à ce qui a été dit plus haut, à priori non, puisqu’il s’agit d’un processus naturel. Pourtant, les impacts les plus importants ont souvent été observés là où les installations humaines ont été érigées.
Plus de 60% de la population mondiale est installée à moins de 10 km des côtes. Le Gabon n’échappe pas à cette tendance. Les implantations et activités humaines sur les rivages se manifestent de plusieurs manières, parmi lesquelles :
– les constructions d’infrastructures et ouvrages ( routes, ports , constructions individuelles ou collectives et les ouvrages de protection : épis, digues, brise-lames, etc.), qui réduisent les transferts et échanges sédimentaires entre terre et mer
– l’exploitation de matériaux sableux sur le rivage, en arrière de plage et sur l’avant plage (au large) pour les besoins de travaux publics et de chantiers de construction.
Les infrastructures, ouvrages et exploitation des matériaux contribuent localement à augmenter ce phénomène d’érosion et en cela, l’homme a une part de responsabilité. Il est le facteur aggravant d’un processus purement naturel, sa présence dans les zones de migration des sédiments rend difficile les transferts de matériaux d’un lieu vers un autre.
L’espoir d’un monde sans l’érosion est-il possible ?
Si on prend en compte ce qui a été dit plus haut, on comprendra que l’érosion est un phénomène de transformation de la nature par la nature. L’enjeu principal est de bien comprendre ce processus et le devenir naturel des environnements littoraux, pour réduire au maximum les dommages causés par les courants marins sur les infrastructures et ouvrages côtiers. Ce n’est qu’en intégrant ce processus que l’on pourra aménager et construire en bordure de mer, à des distances raisonnables, qui ne perturberont pas l’évolution du processus naturel.
Les milieux varient et se modifient ; il en a toujours été ainsi et il convient de prendre conscience que les changements, les discontinuités, les crises de rupture dans les paysages, relèvent de la «normalité» au sens de l’évolution. Ils s’inscrivent non pas dans le seul présent comme une menace pour l’avenir immédiat, mais dans la profondeur du temps.
À l’homme de faire sa part en s’adaptant le mieux ; mais son adaptation dépendra de sa connaissance et de sa compréhension des processus d’évolution naturelle des milieux qu’il désire occuper.
La mise en œuvre d’un cadre juridique approprié, à travers l’élaboration d’une loi littorale, permettrait certainement de mieux planifier et encadrer l’occupation et l’exploitation des milieux côtiers.
Si ces dispositions sont intégrées dans la loi, l’érosion côtière ne constituerait plus un problème ; l’homme et ses activités sauraient où s’installer au mieux afin de laisser la nature continuer à développer sa dynamique le long des rivages.
Magloir-Désiré MOUNGANGA
Spécialiste des dynamiques littorales. Coordonnateur Scientifique à l’ANPN.
moungangmad@gmail.com.